Les échafaudages (Un été chez Grand Mère)

Publié le par jplvillette

Les échafaudages (Un été chez Grand Mère)

Depuis quelques jours un événement important se prépare chez les Lavaud, les voisins du haut. Ils ont décidé de faire construire un garage dans leur jardin. Le père de Michel est chargé de cette mission. Le plan est vite élaboré sur le coin de la table de la cuisine par Miquète le maçon. Il aura un étage, ce sera une vraie construction qui nécessitera un échafaudage. Je n’ai encore jamais vu un échafaudage en fonction. Il y a bien tous les morceaux des échafaudages dans le parc du maçon, c’est un véritable bric à brac de tubes métalliques, de pieds, de sortes d’échelles, mais je ne vois pas bien comment tout ce méli-mélo va s’organiser pour faire un échafaudage. Je suis impatient et propose même à Miquète de l’aider, il sourit en me disant que la première chose à faire est très pénible et assez longue car il faut creuser les tranchées des fondations. Mais le maçon est d’accord si nous lui obéissons bien pour qu’il n’y ait pas d’accident sur le chantier. En plus de son ouvrier il a maintenant quatre apprentis. Les mesures sont prises, les repères sont plantés, les tranchées sont dessinées avec des cordeaux, l’emplacement de la terre est déterminé, chacun a une tâche précise à faire, les costaux roulent les brouettes, les autres manient la pelle ou la pioche.

A la fin de la première journée, les tranchées des fondations sont creusées, le lendemain l’emplacement du garage est complètement décapé. Je le trouve un peu petit, comparé aux granges de grand-mère, mais c’est vrai qu’il va y avoir un étage. Le père de Michel arrive le troisième jour avec une bétonnière accrochée derrière le camion dont la benne est pleine de sable et de graviers. Il me sourit avec son doux regard un peu narquois et son mégot toujours planté au coin des lèvres. Il se demande comment un gamin de mon age peu s’intéresser à tout ce que les gens font. Michel, son fils, semble déjà tout connaître du métier de maçon et paraît moins intéressé, mais moi évidemment, je ne connais rien à rien et je pose sans arrêt des questions sur le pourquoi du comment de chaque chose, de chaque geste, de chaque action.

  • C’est pour les fondations, me dit-il, viens avec moi je vais chercher le ciment. Veux-tu devenir maçon ?

  • Je ne sais pas, je préférerai faire les plans des maisons, c’est plus amusant de dessiner.

  • Tu veux devenir architecte ?

  • C’est quoi ça ?

  • Un architecte c’est une personne qui prépare les plans des ponts, des immeubles et des maisons, il calcule tout, et dessine des plans.

  • Il créée des maisons dans sa tête et ensuite il les fait construire ?

  • Oui, c’est un peu son métier.

  • Ça doit être intéressant.

  • Dans la maçonnerie, il y a aussi beaucoup de choses intéressantes, je vais te montrer, en construisant le garage toutes les façons de travailler, le savoir-faire du maçon. Comment on s’y prend pour faire un dessus de porte, comme celles des granges de ta grand-mère. Tu as vu les pierres comment elles sont bien arrangées, elles tiennent toute la voûte, celle du milieu s’appelle la clef de voûte, sans elle tout le mur au-dessus s’effondrerait.

  • Comme le pont sur la Bonnieure ?

  • C’est juste, le pont est construit comme ça, dis donc, tu comprends vite toi.

Il me regarde, tout en conduisant, avec ses gros sourcils roux et broussailleux, ses yeux bleu clair et ses joues dont la couperose révèle combien cet homme travaille toujours au grand air, par tous les temps été comme hiver. Ses larges mains, posées sur le volant, ont la peau rugueuse et toute craquelée, ses doigts montrent des crevasses noires, ses ongles sont cassées et encombrées de restes de ciment.

  • C’est dur d’être maçon. Les tâches sont pénibles, les outils sont lourds et les matériaux pas très nobles.

  • Comment, pas noble ! Me dit-il avec indignation, tu verras quand je vais construire le mur devant la maison de tes parents aux Pradelles, je te montrerai des pierres comme tu n’en as jamais vues, je te ferai sentir sous les doigts, les veines du calcaire, là où il faut taper d’un coup sec avec le marteau pour obtenir un bel angle bien droit, comment tailler les pierres de bordure, comment les arranger entre elles pour que le dessin soit joli.

  • Je ne savais pas qu’il y avait toutes ses subtilités.

  • Je sais que tu es curieux et que si les petits cochons ne te mangent pas tu iras loin, mais sache qu’il n’y a pas de métier qui n’est pas ses secrets et ses subtilités, comme tu dis si bien, il n’y a que de sottes gens qui sont ignorants de tous ces savoir-faire, et qui, un jour, si nous n’y prenons garde, disparaîtront.

  • On aura toujours besoin de maçons !

  • Oui, bien sûre, mais le métier change, maintenant tu vois bien ils font du préfabriqué.

Effectivement près du village une usine de « préfabriqué » a été construite au bord de la nationale qui coupe la ville de Chasseneuil en deux.

  • Leurs maisons ne sont pas belles, elles sont toutes pareilles, personnes n’en voudra.

  • Pour faire des bureaux, des usines, des entrepôts, ce n’est pas la peine de faire du beau.

  • Notre paysage va devenir vilain si on fait des maisons qui ne sont pas belles.

  • C’est vrai ce que tu dis, mais on prend le chemin inverse pour le moment, regarde comme elle est moche cette usine, ils auraient pu lui faire un beau fronton comme on faisait autrefois, elle est toute en briques rouges, sans rien de bien joli, on se croirait dans le Nord où toutes les maisons sont construites en brique, c’est triste.

Nous arrivons sur le chantier avec les sacs de ciment, j’essaye d’en prendre un, mais je ne réussis pas à le déplacer.

  • ça pèse lourd, dis-je.

  • Plus de trente kilos, me répond l’ouvrier, qui d’une seule main et un coup de rein se pose le sac sur l’épaule.

  • J’aimerais bien avoir des biceps comme les tiens.

  • Ce n’est pas en manipulant un crayon que tu y arriveras, ce n’est pas assez lourd. Il faut s’entraîner tous les jours avec des charges suffisantes, sinon tes muscles ne se forment pas et tu restes une mauviette.

Ces propos ne me plaisent pas trop et je vais voir les tranchées qui sont ornées de ferraillages. Miquète me voyant perplexe m’indique :

  • Les ferrailles au fond des tranchées vont servir de semelles aux fondations que l’on va construire dessus. On va couler du béton, tu verras, demain quand il sera pris on ne pourra plus rien bouger. Vas aider Michel à remplir la bétonneuse avec des graviers, je mettrai le ciment après.

  • On mettra de l’eau aussi ?

  • Oui, c’est l’eau qui fait la colle… enfin le mortier. Quand elle s’évapore, il faut un marteau piqueur pour le casser.

  • Mais qu’est ce qui fait que le ciment devient dur avant même qu’il soit sec ?

  • Il absorbe toute l’eau et les différents cristaux qui le composent, s’agglomèrent solidement entre eux, comme de la colle.

  • Je ne comprends pas bien le phénomène ?

  • Moi non plus, mais il est chimique, c’est comme avec le plâtre, mais en moins rapide.

Je me souviens de grand-mère qui avait voulu boucher un trou dans le mur de la cuisine avec du plâtre, elle n’avait pas eu le temps de remplir tout le trou, il était devenu très dur en cinq minute, la bassine dans laquelle elle l’avait préparé, était devenue inutilisable jusqu’à ce que par hasard trois jour après je l’avais démoulée d’un seul coup en jouant avec. Grand mère m’avait félicité, car elle n’y était pas arrivée. Le plâtre n’était pas assez sec sans doute.

Nous avons coulé la semelle des fondations toute la journée, la bétonnière n’a pas cessé de fonctionner, enfin lorsque le dernier seau de mortier a été vidé, Michel a arrêté le moteur, un grand silence c’est abattu autour de nous. En quelques jours les murs ont été montés, jusqu’au niveau de l’étage.

  • Maintenant il faut monter l’échafaudage, dit le père de Michel.

  • Enfin, soufflai-je.

  • Je vois que tu es impatient de voir comment on monte ce mécano, comme tu as des idées, tu vas m’aider, parce qu’il doit tenir debout et être solide.

La mise en place des pieds est assez longue car ils doivent être calés bien horizontal. Ensuite, le vrai mécano commence, on trie les différents morceaux en fonction de la forme de leur bout et de leur longueur. La mise en place de chaque élément demande parfois plusieurs essais, après un certain temps, j’ai compris comment fonctionne ce mécano géant et j’indique à Miquète qu’elle est la place de chaque morceau. Il me sourit, il n’a plus son air narquois, mais il est agréablement surpris de la facilité du montage quand on met les bons morceaux au bon endroit dès le départ.

  • Mais comment fais tu ? Me demande-t-il.

  • Je ne sais pas, je vois ou ils vont, je le vois tout monté. Je ne le fais pas exprès.

Publié dans Souvenir d'enfance

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article