Le radeau sur l'étang (Un été chez Grand Mère)

Publié le par jplvillette

Le radeau sur l'étang (Un été chez Grand Mère)

Le radeau sur l’étang

Derrière chez grand-mère, il y a un vallon où se rejoignent en hiver plusieurs sources qui apparaissent dès l’automne lorsque les pluies ont été abondantes. Elles constituent un petit ruisseau qui traverse le pré appartenant à grand-mère sur le chemin de Chante Buse, au fond du vallon. Le chemin sert de digue, deux buses le traversent pour évacuer l’eau. Si les sources donnent suffisamment, le pré se remplit et forme un étang modeste et peu profond. C’est une aubaine pour nous lorsque l’étang apparaît. Il devient une nouvelle aire de jeu pour faire naviguer des petits bateaux à voile que l’on pousse avec un bâton et qui, si le vent est favorable, traversent l’étang, ce qui nous oblige à faire tout le tour pour les récupérer de l’autre côté. Mais il y a aussi la palisse à gauche qui les bloque souvent. Il est difficile d’aller les chercher quand ils se sont fourrés dans les ronces. Alain décide d’aller les récupérer en marchant dans l’eau le long de la haie. Au début tout va bien, l’eau n’arrive qu’à mi-botte, mais très vite le niveau est à ras le haut de la botte, impossible d’aller plus loin sans remplir les bottes. Au moindre mouvement les bottes risquent de se remplir d’eau gelée. Alain se retourne pour revenir, malgré la longue perche, il n’est pas arrivé à toucher les bateaux. Je dis :

  • Ce serait bien si on avait une barque, tu ne crois pas ?

  • Oui bien sûr, mais c’est trop long à fabriquer, on n’a même pas les planches. Tu sais faire, toi, un bateau ?

  • Non, mais un radeau c’est sans doute plus facile, il suffit de mettre quatre tonneaux sous un carré de planches.

  • Plus facile à dire qu’à faire. Remarque j’ai vu des bidons à l’usine l’autre jour, ils sont près de la clôture, ils ont l’air de ne servir à rien. Il suffit d’aller les chercher, si on les prend, ils ne manqueront à personne, là où ils sont.

  • Il y a des planches dans la grange chez grand-mère, il suffit d’en prendre trois ou quatre, comme ça, personne n’y verra rien.

C’est décidé nous allons construire un radeau pour aller chercher les voiliers égarés. Dans l’usine de préfabriqués qui est à l’entrée du village nous avons repéré des bidons vides qui apparemment nous attendent sagement pour nos nouvelles aventures. Nous en prenons quatre, ils sont de taille moyenne, plus petits que des fûts d’essence. Avec quatre rondins nous faisons l’armature du plancher du radeau. Les bidons ne sont pas faciles à fixer dessous, nous les attachons avec de la ficelle. Le tout n’est pas très rigide, mais ça devrait aller. Nous fixons des planches dessus, le radeau devient plus solide. Je l’essaie sur l’eau, il flotte bien mais il est très instable à cause de ses dimensions réduites, je reste à genoux pour éviter tout chavirage. Je vais chercher les voiliers. Tout se passe pour le mieux, j’ai une petite perche pour pousser le radeau, je m’aperçois que l’étang est, par endroit, plus profond que je ne pensais. Je fais un tour sur l’étang, Alain me crie de revenir, il veut aussi profiter de l’embarcation. Je manie l’engin avec précaution, au milieu ma perche est juste assez longue pour toucher le fond, il y a au moins deux mètres d’eau, Il me semble qu’un bidon prend l’eau car le radeau penche un peu à gauche, après ce constat, je reviens au point de départ. Je dis à Alain de voir le bidon qui prend l’eau. Il ne m’écoute pas, trop pressé d’aller faire un tour sur l’étang. Il a pris une perche plus longue pour pousser plus fort sur la frêle embarcation, à chaque fois elle penche dangereusement, je lui dis de faire attention, il rit et se met debout dessus. Au début, il arrive à maîtriser la gîte, mais au moment de pousser sur la perche, celle-ci se dérobe dans un trou, il perd l’équilibre, le radeau part en avant, poussé par ses pieds, il se retrouve un instant suspendu entre la perche et le radeau. Mais les lois de la physique sont ce qu’elles sont. Après vingt longues secondes d’incertitude, ce qui devait arriver arriva. Un grand plouf ! Précédé d’un cri rauque, fait un écho entre les berges boisées de l’étang. A l’endroit où Alain vient de tomber, il y a beaucoup d’eau. Enfin il réapparaît, c’est son deuxième bain hivernal, je sais qu’il ne sait pas nager, la mare n’était pas grande, mais ici, je me vois mal me mettre à l’eau dans ce froid pour aller le chercher. Ce que j’espérais arrive, il prend pied avec de l’eau jusqu’aux épaules, je lui dis de rester accrocher au radeau car il pourrait retomber dans un trou, je me rappelle qu’au milieu du pré il y a le ruisseau qui est plus profond. Mes pensées en avaient à peine fini avec ce sujet que je vois Alain disparaître une nouvelle fois, mais il m’a écouté pour une fois, le radeau lui permet de refaire surface, même, si maintenant il penche beaucoup. Arrivé au bord, Alain est épuisé, il a tellement froid qu’il en est bleu. C’est avec difficulté que nous rejoignons la maison de grand-mère, Alain arrive à peine à marcher tellement il est transi par le froid. Cette fois, s’il n’attrape pas au moins un rhume, pensai-je. Grand-mère nous aperçoit avant que nous ayons atteint l’angle de la grange, impossible de se cacher, elle arrive à grand pas du jardin, ayant remarqué la couleur des habits d’Alain, elle me crie d’aller tout droit dans la maison. A peine arrivés, elle lui dit de se mettre tout nu, il n’ose pas, elle met du bois dans la cheminée, elle le frotte avec une serviette rêche qui lui fait rougir instantanément la peau. Elle me flanque une claque au passage pour calmer sa colère. C’est encore toi qui as eu une idée loufoque, me dit-elle. Je ne dis rien. Cette fois, il va attraper la mort ce gosse, dit-elle. Pendant une demi-heure elle le frotte tellement qu’on dirait un homard. Je rigole en faisant la remarque, grand-mère n’est pas d’humeur, mais Alain qui a retrouvé sa vivacité se met aussi à rire de bon cœur de la peur qu’il a eue. Le rire est communicatif et grand-mère, elle aussi, malgré sa colère, part d’un grand éclat de rire. Finalement on se retrouve tous les trois autour d’un bol de bouillon brûlant. Avant elle a fait avaler à Alain un verre de gnôle, appelée eau de vie dans la campagne, je vais finir par le croire, car le garnement n’attrapera même pas un rhume. Il a du mal à avaler cette eau de vie issue du distillat du moût de raisin. Grand-mère avait effectivement un droit pour faire distiller le moût restant au fond de la grande tonne après les vendanges, ce droit s’est malheureusement éteint avec elle. Après plusieurs essais, les yeux rouges et plusieurs quintes de toux, il finit par avaler ce breuvage apparemment très fort. De l’eau de vie, elle doit effectivement être capable de réveiller un mort, dis-je. Grand-mère me dit de goûter en trempant un doigt dedans, ça me pique la langue et me brûle la gorge, je comprends qu’Alain ait eu du mal à avaler cette eau de feu. Elle en jette un peu dans la braise pour nous monter, une flamme bleue s’embrase aussitôt.

Publié dans Souvenir d'enfance

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